De l’intérêt ou non des plateformes de financement participatif
Si vous nous lisez régulièrement et/ou que vous suivez l’actualité des jeux de société, vous avez forcément entendu parler des plateformes de financement participatifs, et notamment de la plus célèbre d’entre toutes pour le jeu de société : Kickstarter.
Pour les néophytes : qu’est ce qu’une plateforme de financement participatif ?
A la base, ces dernières ont été crées afin de permettre à de petites/nouvelles sociétés de concrétiser un projet. Pour ça, avant d’avoir le produit fini, cette société présente son projet et vous pouvez mettre des billes en leur donnant directement de l’argent (on obtient alors un pledge, c’est à dire une récompense suite à l’argent versé, d’où le néologisme pledger que vous pourrez parfois entendre). La plupart du temps ce projet présente le but, les étapes et les problématiques. Vous avez donc des informations vous permettant de juger si oui ou non le projet présente de l’intérêt pour vous. Outre l’attrait que représenterait la naissance du projet, l’éditeur propose la plupart du temps du contenu exclusif, proposé uniquement à ceux ayant participé au projet. Un projet comporte un montant minimal à atteindre. Si c’est le cas, le projet sera financé, bravo ! Mais les projets comportent aussi souvent des paliers de financements, associés à ce qu’on appelle couramment des stretch goals (récompenses). Quand le montant engagé par les clients dépasse un palier (disons 120 % du montant par exemple), eh bien tous les participants débloquent un stretch goal, un petit quelque chose en plus pour tous, un cadeau quoi.
Conclusion :
Pour l’éditeur, c’est donc un moyen de disposer de fonds afin de faire naître son projet. Pour le consommateur, c’est le moyen d’aider à faire naître à un projet lui tenant à coeur/l’intéressant et parfois à obtenir en plus du contenu exclusif.
Bref sur le papier que du bon !
Quelle application aux jeux de sociétés plus particulièrement ?
Les plateformes de financement participatif pour les jeux de société sont en plein boom dans la société actuelle, notamment parce que ceux-ci se prêtent extrêmement bien à ce format.
En effet, les petits éditeurs (et même certains plus gros) peuvent ainsi « tester » en direct l’intérêt que leur jeu pourrait avoir sur le public. Comme une grosse étude de marché au final. Elle leur permet aussi de proposer plus de contenu si nécessaire, pour appâter toujours plus de clients. Enfin, elle peut aussi leur permettre de leur faire de la pub. Un projet peut permettre d’avoir en plus un autre produit de l’éditeur à moindre coût, en augmentant la valeur de sa participation.
Pour le client joueur, c’est rentable aussi parce que les éditeurs proposent toujours une contrepartie. Exemples : du matos plus luxueux (pour les joueurs qui aiment avoir du matos haut de gamme), plus de contenu (pour les joueurs voulant toujours plus de rejouabilité), ou même d’autres jeux annexes. Cela permet en fait aux joueurs d’avoir dans leur précieux jeu un quelque chose de plus, ce qui pour certains joueurs est très important.
Conclusion :
Quand on voit l’intérêt qu’a la plateforme de financement participatif pour le jeu de société et surtout pour les deux parties, on comprend que ces dernières soient actuellement en plein boom.
Quels sont les risques ?
Cela dépend d’abord des plateformes. Une plateforme comme Kickstarter ne prend votre argent que si le projet aboutit. Entre temps, vous pouvez tout à fait vous retirer. D’autres comme Ulule vous prennent tout de suite l’argent.
Même si cela est très rare dans le jeu de société, vous pourriez aussi tomber sur une entreprise qui vous volerait carrément, prenant donc votre argent puis disparaissant ensuite dans la nature.
Enfin, les livraisons des projets, et encore notamment dans les jeux de société, ont tendance à accumuler beaucoup de retard… Aléas de la production/réalisation ou manque de clairvoyance grossier, on peut avoir de tout. Au delà du retard pour le client qui attend impatiemment son colis, un effet plus sournois peut se mettre en place : le désintérêt de la communauté pour ce projet sans cesse retardé et qui tombe dans l’oubli.
Conclusion : Les risques existent évidemment. Mais dans le jeu de société, le principal souci rencontré reste le retard et/ou le manque de communication de l’éditeur, menant à différents effets négatifs.
Bon au final, où peut bien être l’effet vraiment dérangeant ?
Eh bien en fait le système est de plus en plus perverti, et là encore chacun, éditeur comme client, y est pour quelque chose.
L’essor de ces plateformes a poussé certains éditeurs à ne plus les utiliser comme des rampes de lancement pour un nouveau projet qu’ils pourraient avoir du mal à financer par ailleurs, mais à cette fois-ci organiser une réelle précommande. Des éditeurs, qui savent que leur projet va marcher, avec déjà des fonds derrière, se servent alors des plateformes pour contrôler la production, étudier clairement le marché, et surtout pousser à toujours plus d’achat. Vous vous retrouvez avec des projets pharaoniques, des montants hallucinants et des kilos de matériels inimaginables. Et cela fait que le client marche à fond évidemment. Et devient acteur de ce système.
En soi rien de bien méchant diriez-vous ? Eh bien en fait si. Car cela induit un changement dans le marché. Le client s’habitue à être « gâté ». Il a déjà participé à/vu ces campagnes gigantesques. Et il développe alors un certain niveau d’exigence. D’aucun parlerait même du fameux système de surconsommation : on nous incite à toujours plus. Surtout, les gros projets permettent à l’éditeur de diviser un jeu déjà abouti en plusieurs petits morceaux, les « strechts goals » (récompense de jeu acquise en fonction du nombre de personnes engagés à acheter le jeu), afin d’inciter à financer davantage une campagne.
Et là quand arrive le petit éditeur, qui lui est vraiment limite et qui a besoin à tout prix de ces fonds pour se lancer, et qui n’a pas les capacités de proposer tous ces éléments en plus, eh bien le consommateur n’y prête pas assez attention, parce que pas intéressant, alors même que ce dernier en aurait peut-être plus besoin.
D’autre part, un autre acteur impacté pourrait être, au long terme, les petites boutiques de jeux de société. Car elles sont, pour l’instant, le seul intermédiaire entre le consommateur et l’éditeur. Le KS, en récoltant les fonds directement dans le portefeuille du client, évite donc un intermédiaire qui lui coute. Si la tendance venait à avoir un impact suffisamment important sur les boutiques, notre offre de jeux physiques pourrait en pâtir.
Conclusion :
Dans le jeu de société, les plateformes de financement participatives sont du coup parfois transformées en prévente, avec des montants extrêmement élevés et un produit final débordant de matériel et/ou de cadeaux. Cela peut provoquer un effet pervers chez le client qui va du coup oublier le but initial de la plateforme vis à vis des petits éditeurs sans trop de moyens.
Alors au final que faire ?
Eh bien déjà chacun voit midi à sa porte. L’analyse qui vient d’être étayée ici est basée sur des faits, des échanges avec des éditeurs petits/moyens/gros et des clients de tout bords. Mais tout le monde ne sera pas forcément d’accord (et c’est très bien comme ça) et tout le monde fait bien comme il veut (et c’est bien aussi).
Si vous êtes d’accord avec ce qui a été présenté plus haut, comme pour tout, il faut parvenir à faire le tri dans les projets essentiels et dans ceux qui le sont moins. Comme pour bien d’autres domaines, privilégiez les achats nécessaires, qui vont vraiment changer quelque chose, et pas juste la notion de plaisir (qui est importante aussi quand même).
Si un projet vous propose le jeu et des tonnes de matos supplémentaires qui somme toute ne sont pas indispensables, ce projet n’a plus forcément besoin de votre aide. Et vous verrez bien lors de sa sortie boutique s’il vous attire toujours autant.
Si pour une fois vous tombez sur un projet intéressant, et même si c’est l’archétype du projet phraraonique, mais que vous êtes réellement emballé, que le contenu exclusif, c’est vraiment pour vous, eh bien allez-y.
Et si vous voyez un petit éditeur avec un projet solide, qui a besoin d’aide : ça reste le même problème : si le projet vous intéresse allez-y, il aura besoin de vous plus que bien d’autres. Mais n’y allez pas si le jeu ne vous plaît pas, se forcer est inutile.
Le jeu de société vit aujourd’hui dans une bulle qui peut en faire vaciller certains. Avec des dizaines de sortie par semaine, certains projets sont vite oubliés par les acheteurs. Pour certaines petites maisons d’édition, c’est l’échec d’un jeu qui peut mettre en péril la demeure.
Conclusion : En matière de financement participatif, bien peser le pour et le contre, et surtout jauger l’importance de l’envie à l’instant T est le plus important. Se faire plaisir est important (l’auteur de ces lignes n’en est pas à son premier…) mais le faire intelligemment est ce qu’il y a de mieux.